Tant de temps passé à écouter et à penser Madonna depuis mes années collège, pourtant je n’ai jamais consacré plus de quelques minutes à écrire à son propos (sauf ici, et là). Au fond, je n’ai jamais été à l’aise avec le fait d’être aussi fasciné par elle, sa musique et ses shows (infiniment moins par le reste de sa production artistique), compendium de la pop commerciale mondialiste, alors que je me revendique aussi comme un mélomane curieux et ouvert, pas vraiment enclin à la trivialité des faiseurs de tubes.
Tu parles.
C’est peut-être parce que son nouvel album s’appelle MDNA et que le moment est venu de parler de mon addiction à la Ciccocaïne.
C’est peut-être aussi parce que, pour une fois, presque rien de ce que j’ai lu ne correspond réellement à ce que j’en pense.
C’est peut-être enfin parce que chacun de ses albums a accompagné une tranche de ma vie et que j’ai envie de détailler la recette qu’elle me sert en 2012, celle que je vais avaler pendant les mois et les années à venir, jusqu’à l’écœurement.
Tout a déjà été écrit à propos de MDNA, entre manifeste de son règne sur la pop depuis 30 ans et tentative pathétique de come-back sur les terres labourées par Lady Gaga. Je ne pense pas que la question se pose de cette façon : Madonna, par sa carrière et le personnage public qu’elle a développé, n’a plus rien à prouver. Michael Jackson et Whitney Houston enterrés, elle est la seule superstar des années 80 encore en exercice qui parvient à la fois à susciter un intérêt médiatique et à déplacer les foules. Autre survivant et ancien collaborateur du temps de Like A Prayer, Prince est un peu à part, retranché dans une posture alternative (si le qualificatif est pertinent pour un artiste de sa carrure) qui intrigue plus qu’elle ne passionne. Mais c’est une autre histoire, j’y reviendrai peut-être un jour.
Cet album porte bien son nom. La dame répète à longueur d’interviews qu’il s’agit d’un “triple entendre”, ce qui dans la langue d’Elvis, signifie “jeu de mots à trois sens”. Au premier degré, une mode venue de l’underground électro qui, de MSTKRFT à SBTRKT, s’amuse à supprimer les voyelles, genre “t’as vu mon blaze comme il est classe ?”. Sauf que, là, on vire un N, on garde un A, c’est un peu boiteux et MDNN aurait été foireux de toute façon. (Kylie Minogue est aussi une copieuse : pour ses 25 ans de carrière, le projet s’appelle K25.) Flickr et Tumblr sont sur la même ligne, c’est du branding 2.0. Mine de rien, la doyenne a encore du flair. Ou de bons conseillers.
Au deuxième degré, un simple changement d’initiale qui ne trompe personne : Madonna = gay fanbase = clubbing = drogue pour danser jusqu’au petit matin. Cliché et ringard, ce raisonnement s’appuie sur une histoire longue de trente ans entre la noctambule du New York post-punk et la communauté homo qui le lui a toujours bien rendu. En 2005, sur Confessions On A Dance Floor, c’est par une approche disco, queer et fun, ambiance Abba et boule à facettes, qu’elle avait appâté du pédé. Aujourd’hui, c’est un peu dommage que ce lien, bâti sur des prises de positions honorables d’un côté et la fidélité de l’autre, soit réduit à cet (ego) trip facile. Mais elle affirme aussi en ce sens que la came, c’est elle. Et Madonna, c’est de la bonne.
Au troisième degré, le “Madonna DNA” (ADN en anglais), et c’est là que ça devient intéressant… A peu de choses près, chaque chanson de MDNA sonne comme le remix d’un morceau existant. Là où la plupart des critiques cherchent le marquage à la culotte de Lady Gaga, Madonna s’est contentée de resservir sa bonne vieille soupe. L’album manque peut-être de surprises, il est conçu comme un best-of où chaque auditeur retrouve son hit préféré, remis au goût du jour. Le premier single Give Me All Your Luvin’ est une version accélérée de Like A Virgin ; I’m Addicted est un reboot après chirurgie esthétique de Rescue Me ; I’m A Sinner fait un mash-up de Human Nature avec Ray Of Light ; I Don’t Give A peaufine le brouillon qu’était American Life ; l’intro de Girl Gone Wild, premier titre de MDNA, reprend exactement Act Of Contrition, l’outro de l’album Like A Prayer, alors que les couplets pompent allègrement Hung Up… Au lieu de courir après les jeunettes qui lui doivent tout, elle s’auto-cite (elle l’a toujours fait) : on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même.
Certains clins d’œil sont subliminaux : seule Gang Bang semble sortir réellement du lot. Ce morceau épique affiche une agressivité meurtrière jusque là quasiment absente des textes de Madonna, si l’on exclut le prurit R&B Revolver (au refrain inoubliablement poétique “My sex is a killer, do you wanna die happy ?”) et le bonus track Beautiful Killer, étrange hommage à Alain Delon dont elle s’imagine la victime consentante, flingue dans la bouche pour qu’elle se taise. Mais on retrouve tout de même sur Gang Bang des réminiscences du travail de Mirwais, des sonorités datées qui ont fait la triste renommée de l’album Erotica et le beat “techno de backroom” entendu sur les milliards de remixes produits depuis 20 ans. Autrefois, elle chantait les amours déçues et les amants indécis ; aujourd’hui, elle pourchasse son ex en enfer pour le buter une deuxième fois. On est loin de la plénitude zen affichée à l’époque Ray Of Light, de l’introspection mystique période American Life et de l’hédonisme fédérateur qui parcourt son œuvre depuis Everybody, son tout premier single. Ce traitement sombre et trash du thème de la rupture révèle une psychologie de pétasse vengeresse, en décalage avec la sagesse dont elle se pare sur d’autres titres.
Pied de nez au poncif de la presse musicale qui attend toujours “l’album de la maturité” de la part d’un(e) artiste confirmé(e), MDNA est un disque de crise d’adolescence. Rien d’étonnant étant donné l’âge de moins en moins assumé de la chanteuse. Elle affirme crânement qu’elle est ceci (une fille qui se lâche sur Girl Gone Wild), cela (autocritique jusqu’à l’excès sur I Fucked Up), ou tout simplement la reine, d’après le rap de Nicki Minaj sur le final grandiloquent de I Don’t Give A. Oubliées la politique et les valeurs morales. Tombé le masque de confiseuse qui avait farci ses loukoums de sous-entendus mielleux sur l’album Hard Candy. En 2012, Madonna veut entendre le nom de son amoureux pour la montée que ça lui provoque, peu importe ce que lui ressent pour elle. Elle n’invite plus les gens à danser avec elle. Elle ne veut pas s’expliquer, comme elle le clame sur Turn Up The Radio. Elle veut seulement prendre le volant, se tirer très vite et très loin en écoutant de la merde très fort. En voiture Ciccone !
Elle ne sera pas toute seule, j’ai pris la place du mort (par overdose).
“Guilty pleasure”. That’s how you put it in English.
I’m basically coming out as a Madonna fan today. Playpause never quite made room for the Queen of Pop, except here and there. I like to present myself as a serious music listener. Serious in the sense that I keep my ears wide open, that I can talk for hours about pop or soul or jazz or disco history and that I don’t indulge in Top 40 hits.
You wish.
Time has come for a proper critique of MDNA. I already read a lot about the record, but didn’t find the spot-on review. Every writer, every blogger seems to be investigating the Madonna case as if she was already dead and buried under the mounts of Lady Gaga. But, hey, hasn’t Madonna been there for 30 years when la Gaga is already struggling to keep relevant? Madonna has nothing to prove : after Michael Jackson’s and Whitney Houston’s passing, she is the only artist from the 80s that the world still cares about. I mean, the girl has been doing the same job since 1982 (not counting her training years as a dancer or background singer), she never got fired and, even when she flopped or disappointed, people were still raving about her. She’s Queen Elizabeth II, Steven Spielberg and Coca-Cola at the same time.
So, what’s to expect from MDNA? Just another Madonna record, actually. I don’t subscribe to the point of view that Madonna is a groundbreaker. She probably never really was one for real. Musically speaking, she’s not a trensetter but a trendsurfer. She’s a smart chick, she has flair, she’s greedy and a dominatrix. She’ll do what it takes to make a scene and buzz the headlines. She’s picked Nile Rodgers to compete with Diana Ross, Debbie Harry and David Bowie, who were confirmed pop acts. She’s hired Lenny Kravitz when Lenny Kravitz was writing lusciously good songs. She’s sucked up Björk’s work when Björk was still a London clubkid. She’s prostituted Mirwais to show that music can make the bourgeoisie (her) and the rebels (him) come together. She’s sampled Abba to hammer the fact that she’s been updating the disco genre for 30 years. She’s hastily teamed up with Pharrell Williams, Timbaland and Justin Timberlake to set herself free from her (former) record company and still managed to put the biggest tour ever for a solo artist out of a bleh album.
In 2012, she’s using the same old recipes. But she’s nipped and tucked them in order to make them sound anew, just like she’s been doing plastic surgery quite gradually for the last 10 years in order to look ageless. But, she’s not fooling anyone and, as she sings on MDNA, she doesn’t give a fuck. Madonna is Benjamin Button, Madonna is the daughter of her own daughter Lourdes. MDNA is the slicker, more condensed version of everything you like about Madonna. MDNA is genetically modified Madonna (the first album). MDNA is the answer to the question Who’s That Girl ?. MDNA is Like A Prayer faithless. MDNA is radio-friendly Erotica. MDNA is Ray Of Light at the club. MDNA is auto-absolved Confessions On A Dance Floor.
Full of self-references, the album sounds like a remix of her past hits. Give Me All Your Luvin’ is Like a Virgin ; Girl Gone Wild tells the same story as Burning Up ; the probable next single Turn Up The Radio enhances Holiday and Where’s The Party with more volume and sound compression ; I’m Addicted redoes Borderline and Rescue Me in a cruder, self-conscious way ; I’m A Sinner mashes Human Nature up with Ray Of Light. Et cætera. Nothing too surprising, everything so familiar.
She has left off the political statements and she pretends to be sorry for the pain she’s caused. But at the same time, she pictures herself as a witch descending to hell to kill her ex twice just because she feels it would be fun. Lyrical consistency was never her thing (neither grammar, by the way). 20 years ago, she needed to “justify her love” but now the talking is over. She just needs to dance, on her own. Her divorce with Guy Ritchie is obviously one of the themes of the record, but she doesn’t even try to make it sound authentic. She just fuels her pop songs with stories that people think they need to hear from her. On Gang Bang, she takes an unapologetic and immature revenge whereas, on I Fucked Up and Best Friend, she longs for the lost love. Tell me about steadiness.
So MDNA is a record about teenage crisis, the ultimate ego trip. It’s about coming out as she is: a megalomaniac persona who enjoys dancing wildly, bitching about everybody else and pretendig to be a lady at heart. Whereas the first album and American Life remain my favorites, MDNA is already the soundtrack of the months to come. Time has passed since Lou Reed sang about waiting for his man to provide the dope. Madonna IS the drug, she doesn’t need anyone or anything to get high on herself. Me neither.
Lady Madonna, children at your feet,
Wonder how you manage to make ends meet.